Le choc pétrolier bouleverse l'automobile
Le Nouveau centre Orne aime à s’interroger sur les
grandes thématiques dualistes que sont l’économie et l’environnement, la vie
quotidienne des français et la macro-économie, la société actuelle et ses
évolutions.
L’article du journal Le Monde du 20 juin dernier illustrait parfaitement ces problématiques croisées…
« La
folie qui s'est emparée du marché pétrolier est en train de bouleverser
l'automobile mondiale. Quoi de plus logique : cette industrie, née du pétrole à
la fin du XIXe siècle, a prospéré grâce au pétrole et elle est
obligée de se repenser à cause du pétrole. Après un siècle sous perfusion, le
sevrage s'annonce douloureux. A la clé, une révolution comme le secteur n'en a
jamais connu.
Les premiers soubresauts apparaissent aux Etats-Unis, précisément là où l'automobile s'est le moins souciée des lendemains qui déchantent, lorsque son principal carburant deviendrait hors de prix et serait menacé d'épuisement. L'heure de vérité a sonné pour les Big Three. A la fin des années 1990, les trois constructeurs américains General Motors (GM), Ford et Chrysler ont cru qu'il suffisait de se lancer à corps perdu dans la production de 4 × 4 et de pick-up énergivores pour conserver leur suprématie mondiale. Avec un gallon d'essence à 2 dollars (1,29 euro), la stratégie a pu faire illusion en masquant leur perte de compétitivité face aux Japonais, aux Coréens et aux Européens.
Au lieu de
sortir les Américains de l'ornière, ce choix n'a fait que les enfoncer un peu
plus dans les difficultés. Bercés par le discours anti-Kyoto de George Bush et
l'appétence momentanée des consommateurs américains pour les grosses
cylindrées, les Big Three ont laissé le champ libre à leurs concurrents pour
occuper le créneau des voitures compactes, moins gourmandes en carburant. GM,
Ford et Chrysler ont même persisté dans leur erreur en entretenant l'illusion
qu'il y avait un avenir pour les trucks, ces petits camions si populaires dans
l'Amérique profonde. Chacun a soutenu le marché en cassant les prix et en
multipliant les crédits à taux zéro. Des cache-misère qui n'ont fait que
retarder la prise de décisions salvatrices.
Aujourd'hui,
le gallon d'essence approche les 4 dollars, les trucks et les 4 × 4 n'ont plus
la cote et les ventes de pick-up sont revenues à leur niveau de 1995. Chrysler,
Ford et GM annoncent qu'ils vont multiplier les lancements de voitures
"vertes". Ford va dépenser des milliards, dès juillet, pour convertir
certaines usines de pick-up, afin de produire plus de berlines. Symbole ultime
d'une époque révolue : GM songe à se séparer de Hummer, la marque de ces
énormes engins militaires transformés en véhicules urbains, mais devenus
anachroniques. Mais tout cela n'est-il pas trop tardif ? Car la situation des
Big Three se dégrade à une vitesse sidérante. Les chiffres de ventes de
voitures aux Etats-Unis en mai sont éloquents. La part de marché de GM est
tombée à 19,1 %, un plus bas historique (elle était de 45 % en 1980), et
Chrysler est en train de perdre pied avec 10,6 %.
Sur le plan
financier, les événements s'accélèrent. Les constructeurs américains, qui ne
sont plus en état de supporter le poids des retraites et des frais de santé de
leurs salariés, se sont crus tirés d'affaire, à l'automne 2007, après avoir
négocié avec les syndicats le transfert de ces charges vers un fonds autonome.
Mais la crise des subprimes et la flambée des matières premières ont rattrapé
les Big Three. Certes, les milliers de suppressions d'emploi décidées ces
derniers mois ont fait baisser les coûts fixes. Mais le rythme de fermeture des
usines n'arrive plus à suivre la chute du marché, qui pourrait tomber sous les
15 millions d'unités en 2008. Un virage stratégique était encore possible quand
le marché oscillait entre 17 et 18 millions de véhicules. Aujourd'hui, ce n'est
pas dans la tempête qu'on répare les avaries. Le cabinet Arthur D. Little
estime que, dans un contexte de pétrole cher, les ventes aux Etats-Unis
pourraient chuter de l'ordre de 28 % d'ici à 2012.
L'analyse froide de la
trésorerie de GM ne laisse pas place à l'optimisme. Le groupe dispose de 24
milliards de dollars dans ses caisses. Le ralentissement économique va lui
coûter 10 milliards d'ici l'an prochain. Le remboursement des dettes arrivant à
échéance pèsera presque autant. Quand on sait qu'un constructeur comme GM a
besoin de 10 milliards de cash pour continuer à faire tourner ses usines, on
voit bien qu'il y aura un souci dès 2010. Il est peu probable que GM conserve
sa taille, Ford sera certainement obligé de s'allier à un concurrent et les
chances de survie pour Chrysler, sous-capitalisé, s'amoindrissent de mois en
mois.
L'industrie
automobile européenne a sans doute fait preuve d'un meilleur sens de
l'anticipation. L'allemand Mercedes a eu le courage de se couper un bras, juste
avant le ralentissement américain, en cédant Chrysler au fonds d'investissement
Cerberus. Porsche a eu l'intelligence de prévoir qu'une marque de voitures de
sport dont les modèles rejettent en moyenne plus de 200 grammes de CO2
par kilomètre n'aurait pas un grand avenir dans un monde qui se soucie du
réchauffement climatique. D'où l'idée du rapprochement mené avec Volkswagen. Le
but étant de faire émerger un champion allemand pour affronter les défis
énergétiques.
Dans cette
bataille, les constructeurs français ne manquent pas d'atouts. Ils sont les
spécialistes mondiaux des petites cylindrées, de plus en plus demandées. Leurs
ventes devraient augmenter de 15 % à 30 % d'ici à 2012, selon Arthur D. Little.
Ensuite, Renault, grâce à sa voiture à bas coûts, la Logan, a pris un coup
d'avance sur ses concurrents pour conquérir des marchés émergents au pouvoir
d'achat réduit, mais principale source de croissance des prochaines années.
Champions du monde du diesel, les Français vont cependant devoir faire preuve
d'adaptation. Le gazole, désormais aussi cher que l'essence, est en train de perdre
son attractivité. Dès 2009, les normes européennes de pollution vont, en termes
de coûts, disqualifier le diesel pour les véhicules les plus petits. Renault,
Peugeot et Citroën seront-ils alors aussi dominateurs sur les moteurs à essence
de nouvelle génération qu'ils l'ont été sur le diesel ? Par ailleurs, ce type
de motorisation va désormais concerner essentiellement le haut de gamme,
domaine où les Français n'ont jamais brillé.
Dernière
conséquence du choc pétrolier : l'émergence de nouveaux acteurs. L'indien Tata
est déjà sur les rangs. Son petit modèle, à 1 700 euros, la Nano, qui sera
lancé en septembre, n'est-il pas une bonne synthèse des deux grands défis
contradictoires que cette industrie doit surmonter : réduire la consommation
d'essence, tout en rendant l'automobile abordable à des populations de plus en
plus larges ? Ceux qui résoudront le dilemme deviendront sans doute les Big
Three de demain. »